Interview de Mr SU par Vincent BEJA

Interview de Mr SU par Vincent Béja à Shanghaï en novembre 2015 avec l’aide de Paul Leu.
Interview publiée par TaiChiMAG début 2016.

Cette interview a été publiée par TaiChiMAG dans son premier numéro de 2016

Vincent : Mr SU, vous allez bientôt revenir en France pour une série de stages à Paris, Toulouse et Castres, fin avril et début mai 2016. Vous êtes un spécialiste du TaiJi de l’école WU. Pouvez-vous nous raconter dans quelles circonstances et comment avez-vous rencontré le TaiJi ? Qu’est-ce qui vous a d’abord attiré ?

Mr SU : Quand j’étais enfant, mon père et tout un petit groupe de personnes lettrées de ses amis s’intéressaient au TaiJi. Ainsi depuis toujours j’ai pensé que le TaiJi était quelque chose de formidable.
Le TaiJi est un trésor culturel et une forme d’intelligence qui appartient intégralement à la culture chinoise. Ce n’est pas seulement une pratique et un entraînement du corps. Il contient de nombreux principes qui sont au cœur de la pensée chinoise. Les pensées taoïstes, confucianistes, bouddhistes, le TaiJi les contient toutes. La pensée dialectique y est aussi contenue.
Le contenu du TaiJi est très profond et extraordinaire ; il est ainsi capable de guérir des maladies et d’entretenir la santé et la longévité. Mais aussi il permet de maintenir la jeunesse et la beauté tout en procurant la capacité de se défendre. C’est pour tout ça que j’ai été attiré. Déjà avant les années 60 je ressentais cette attirance et cela fait maintenant plus de 60 que je m’entraîne...

Vincent : Quels ont été vos enseignants et qu’est-ce que chacun vous a apporté ?

Mr SU : C’est quelqu’un de très célèbre qui m’a enseigné, PEI ZuYin et puis ensuite MA YueLiang. Mais j’ai aussi reçu un très grand nombre de conseils de nombreux pratiquants avancés parmi lesquels HAO ShaoRu, SHEN YunPei (disciple de TIAN ChaoLin) et un disciple de WU HuiQuan, ZHANG Yu, ainsi que d’autres...
Ils ont tous contribué à ma compréhension de l’essence du TaiJi. C’est comme ça que j’ai pu apprendre le TaiJi authentique et non pas les exercices que l’on connaît généralement sous le nom de TaiJi.

Vincent : Quelle est aujourd’hui votre définition du TaiJi et pourriez-vous dire en quoi le TaiJi est spécifique ?

Mr SU : Le TaiJi est une pratique corporelle de haut niveau riche en pensées philosophiques dans laquelle « se trouvent le vrai, le bon et le beau ». Ce qui le caractérise parmi tous les autres arts martiaux c’est son usage de la douceur. C’est au travers cet usage que se développe la « force collante » spécifique du TaiJiQuan.

Vincent : L’école WU est moins connu en Europe que les écoles YANG et CHEN. Comment pourriez-vous caractériser le TaiJi WU ?

Mr SU : En Chine aussi c’est une minorité des pratiquants qui suivent l’école WU. Cette école est en réalité le fait d’une petite élite. Les autres écoles telles YANG ou CHEN sont plus populaires et elles sont pratiquées par des gens d’un niveau moins élevé.
Il n’est pas étonnant que l’école WU soit peu représentée en Europe.
Une des particularités de notre école c’est de proposer un TaiJi subtil et raffiné, très riche en techniques et en transformations. Particulièrement dans les transformations douces et déliées.
Le corps est tranquille, relâché et très bien centré. Les mouvements sont agiles, resserrés et continus. On y utilise le Yi et non pas la force. La respiration est fine et longue. Et après l’exercice tout le corps se sent léger et relâché. L’esprit aussi est léger, vide, désencombré des soucis.
Mr SU en action
Vincent : Vos stages sont toujours dédiés au TuiShou, les « mains collantes ». Quel est l’intérêt du TuiShou pour les pratiquants ?

Mr SU : Le TuiShou est, avec la Forme, l’un des deux piliers de l’apprentissage du TaiJiQuan. C’est en pratiquant le TuiShou qu’on comprend et met en place le principe d’adhérer, coller et suivre. C’est en travaillant ainsi à deux qu’on apprend à abandonner la subjectivité pour devenir entièrement présent au partenaire et faire « un » avec lui. Dans le TuiShou de l’école WU nous avons beaucoup d’exercices qui permettent de développer cela.
Pratiquer le TuiShou permet de comprendre les techniques qui sont inscrites dans la Forme. Et réciproquement une pratique juste de la Forme où est intégrée l’expérience du TuiShou, permet de développer la force collante et d’améliorer son niveau face à un partenaire.

Vincent : L’école WU insiste énormément sur la douceur ; c’est particulièrement perceptible au TuiShou. Pouvez-vous commenter et expliquer cette notion ?

Mr SU : La douceur c’est se relâcher tout en entrant et restant en contact ; c’est la combinaison d’un relâchement de tout son propre corps dans un contact ininterrompu avec le partenaire. Aucune partie du corps n’est rigide ou tendue. Le TaiJi est un art martial qui est construit sur la base de cette notion de douceur.

Vincent : Dans quel état d’esprit faut-il aborder le TuiShou ?

Mr SU : Il faut être dans une attitude d’apprentissage et avoir beaucoup de patience. Cela ne s’acquiert pas rapidement. Ne pas donner d’importance à gagner ou à perdre. Il faut apprendre à sentir. Mieux vaut chercher à faire selon les principes authentiques que de gagner en allant à l’encontre de ces principes.
Le TuiShou n’est pas un but en soi. C’est une méthode d’entraînement. Et un moyen d’augmenter son plaisir et son intérêt.

Vincent : Est-ce que la pratique selon l’école WU peut bénéficier à quelqu’un qui suit une autre école ou fait un autre art martial ?

Mr SU : Oui, pratiquer le TaiJi WU peut apporter beaucoup de bénéfices aux pratiquants d’autres disciplines ou d’autres écoles. Cela ne peut qu’améliorer la pratique que l’on a déjà en la corrigeant, en l’approfondissant et en enrichissant son contenu.

Vincent : Et peut-on commencer la pratique du TuiShou sans rien connaître du TaiJiQuan ?

Mr SU : Oui, on peut apprendre le TuiShou sans pratiquer la Forme. Le TuiShou et la forme sont liés. Normalement on apprend la Forme puis le TuiShou mais on peut faire l’inverse et commencer par le TuiShou avant de s’intéresser à la pratique de la forme.
Pour ces personnes qui n’ont pas travaillé la forme, il s’agit essentiellement d’apprendre à sentir l’autre, à devenir plus sensible à ce qu’il fait. Il s’agit de raffiner les sens par lesquels on perçoit l’autre, tout en restant relâché.

Vincent : Quelles sont, selon vous, les qualités essentielles qu’il faut développer pour devenir un bon pratiquant et comment faut-il s’y prendre ?

Mr SU : Il faut lâcher la force musculaire instinctive, habituelle, et entraîner le corps à se relâcher de façon naturelle. Il faut aussi que le mouvement soit juste, lié à l’axe central et effectué au bon moment, de manière appropriée. Mais je ne peux pas indiquer des choses précises à travailler car tout dépend de la façon dont elles sont accomplies.

Vincent : Le TaiJiQuan est une pratique qui implique toute la personne (corps-cœur-esprit). Quels sont vos conseils pour que la pratique de vos élèves porte de bons fruits ?

Mr SU : Il faut chercher un professeur qui sait vraiment faire le TaiJi. On ne peut pas apprendre le TaiJiQuan auprès de quelqu’un qui fait le fait comme un simple exercice. Si on étudie avec quelqu’un qui connaît vraiment le TaiJi alors, avec le temps et le travail, on est assuré de réussir.
Il faut apprendre les vrais principes gardés au sein du TaiJi

Mr SU pousse Vincent
Shanghaï décembre 2015 - dans le hall de l’immeuble de Paul

Vincent : Et qu’est-ce qui vous donne aujourd’hui envie de transmettre et vous fait venir en France pour donner les stages ?

Mr SU : J’aime beaucoup la culture française, l’histoire, l’art, la littérature et, à partir de cette affinité, j’ai envie de partager avec les français. Des éléments de cette culture française ont beaucoup bénéficié à la Chine et nombreux sont les chinois de ma génération qui ont fait des études en France et donc j’aimerais bien offrir ce que je possède à la France. Je trouve que les français sont des gens hospitaliers, gentils et qui aiment apprendre. Aussi j’ai plaisir à leur enseigner.

Vincent : Grand merci, Mr SU.

Posté le 17 août 2020 par Vincent Béja