Petite discussion

Ce texte est le résultat d’un échange impromptu par mail entre Juan et moi, à la suite de notre journée de dimanche14 février chez Claude. Journée dans laquelle il était visible pour tous — moi le premier — que la foudre de la Covid avait frappé mon pied.
En fait, 15 jours plus tôt, à Matabiau, au sortir du train et pour aller rejoindre Kriss qui devait venir me chercher, j’avais glissé sur la couche d’eau qui stagnait sur les marches des escaliers descendant aux souterrains. La désinfection des escaliers et des couloirs était toute fraîche. Avec mes petites chaussures de TaiJi aux semelles lisses, j’avais dérapé et violemment chuté avant de finir de dévaler les escaliers comme un vulgaire sac de patates. Bref sonné, tordu, choqué, blessé... Donc une cheville foulée plus une métatarsalgie qui m’empêchait même de poser le pied à terre...

L’essentiel n’est pas là mais dans l’échange qui s’ensuit :

Juan :

Salut Vincent,
Comment se passe la guérison du pied ?

De mon côté j’essaie de déméler la notion de substance
Et de non substance en relation avec le Yin et le Yang du Tao.
Et bien entendu dans le Tui Shou à une main, et parfois à deux mains.

Si, en attente de se revoir tu avais quelques pistes de réflexions et de pratiques elles seront les bien venues.

Au plaisir d’avoir de tes / bonnes/ nouvelles
Un Abrazo

Vincent

Salut Juan,

Merci de ton mail…
Le pied avance… un peu mieux. Je peux le poser maintenant et je n’ai pas de fracture (visible) cf la radio.

Pour le substantiel et l’insubstantiel, c’est encore une autre affaire.
Face à ce qui avance sur nous, il faut présenter l’insubstantiel : pas de durcissement, pas de Yang, pas de Plein mais du Yin, du Vide. Ce qui veut dire que nous devons garder le substantiel hors de portée de toute poussée, dissimulé. L’axe (du corps) comporte du substantiel : si je suis poussé sur l’axe j’ai perdu. L’axe doit donc rester enfoui, hors d’atteinte. Mais le cœur de notre travail ce n’est pas de dissimuler le substantiel mais d’offrir l’insubstantiel à l’adversaire/partenaire.

Et puis il y a une correspondance mentale : au cœur il y a un esprit clair (l’axe spirituel) mais au contact du partenaire, il ne doit pas y avoir d’intention déjà constituée. Donc l’esprit se centre sur ce qui se passe et non pas sur ce qu’on veut qui se passe… Entre lui et le partenaire, il y a du vide (une écoute) et non pas un brouillard d’intentions ou d’idées…

Bises

Juan

Salut Vincent,

Si le pied avance
Marcher devient l’évidence.

Pas de fracture, donc la guérison ira plus vite.

Je te remercie pour ta réponse
Elle m’éclaire sur cette notion de non subtantialisation dans l’absorption et en même temps me questionne.

La pratique me montre l’étendue du chemin à parcourir,
éviter l’empathie corporelle, avec son corollaire : le réflexe corporel,
ouvrir la sensibilité,
absorber sans force la poussée.

Mais plus précisément nous nous exerçons dans un cadre bien précis et bien défini.
Poussée à une main
Poussée à deux mains
qui forme donc, tu me diras si je n’ai pas bien compris, un cadre d’apprentissage loin de toute réalité de combat (Pour le moment).
Je constate dans l’échange de la pratique avec d’autres que la poussée à deux mains offre un substantiel pour le moins imparfait.
Comment, alors rechercher le non substantiel (des années de persévérance dans un cadre idéal) quand la poussée est autre ?
Ne faudrait-il pas aussi revenir à la présence d’un substantiel clair et précis afin d’avoir le max de sensations dans l’absorption afin de s’approcher au mieux de cette entité mental- corps du non substantiel ?
Écoute et vide seraient donc similaires ?

La notion de pratique de la poussée commence comme tu le dis souvent d’abord en soi (TaiJi)
Vider les coudes serait donc un lien possible entre TaiJi et Tui Shou ?

Hasta pronto

Si la plante du pied retrouve la sensation du sol, alors le chemin s’ouvre à nouveau.

Un Abrazo

Vincent

Salut Juan !

Attention, dans ce que tu dis tu sembles assimiler la poussée au substantiel. Ce n’est pas le cas. Dans la poussée il y a bien un substantiel (toujours sur l’axe) mais pas vraiment dans le contact avec le partenaire. L’idée ici c’est de ne pas donner d’information à celui qu’on est en train de pousser. Si tu rigidifie ton corps entre ton axe et le point de contact avec ton partenaire, tu mets du dur dans la poussée, tu pousses ton partenaire à réagir. Plus il est fort et rapide, plus c’est dangereux pour toi.
Il faut alors le pousser sans « pousser » mais simplement en avançant, en s’étendant avec légèreté comme un nuage avance ou comme une vague submerge. La vague est pleine, certes, mais pas concentrée sur un point, une direction. Elle enveloppe, elle déborde, elle est partout et non pas en un seul point. On ne peut pas dire vraiment qu’elle est substantielle. La poussée doit envelopper le partenaire, recouvrir et ainsi neutraliser dans l’œuf toutes ses initiatives.
Le substantiel c’est ce sur quoi on tire et on pousse à l’intérieur pour s’étendre ou le long de quoi on relâche pour se rassembler et qui est en contact avec le sol via bassin, jambes et pieds. C’est essentiellement l’axe vertébral. Donc, oui, on peut dire qu’on pousse avec le dos, mais pas avec les bras...
Et encore… Il faudrait aussi adoucir l’axe, l’assouplir et le détendre, celui-là...

Bises !

Juan

En lisant ta dernière réponse sur la poussée non substantielle je me posais la question entre la justesse de la pensée et la justesse de la pratique.
Quelle était donc cette substance- non-substantielle dans la poussée ?
Et quel était ce non substantiel dans l’absorption (que je reliais à mes sensations nouvelles en Tui Shou) ?
Bueno
Mañana será otro día. ( Demain sera un autre jour)
Un Abrazo

Vincent

Et moi, dans ma précédente réponse, j’ai oublié de dire OUI : coudes lourds, mains légères, TOUJOURS ! C’est la deuxième porte, après celle du pouce ! C’est absolument fondamental pour la pratique du TaiJi et duTuiShou. Ces deux portes sont directement reliées à la fluidité des épaules et au relâchement (encore partiel) du mental. Il faut s’entraîner tout le temps au début. Quand tu cuisines, quand tu conduis, quand tu fais le ménage, quand tu travailles : pouces détendus (porte 1) et toujours coudes lourds, coudes orientés vers le sol (porte 2) !!!

Ensuite pour essayer de démêler le rapport entre le mouvement et la pensée il faut d’abord comprendre que « penser » est un acte du corps tout entier. Si tu penses : « Attention il pousse fort à droite » ou bien « maintenant je vais l’attaquer parce qu’il ne me suit pas bien » alors dans ton corps à certains endroits, certains muscles se contractent et ton partenaire le sent aussitôt. Si tu as peur de la poussée qui vient quand tu recules, alors tu te serres au niveau des lombaires, du bassin, du diaphragme... Tu deviens raide. Tu te déracines toi-même...

Donc on ne doit pas nourrir les émotions et les pensées. On ne peut pas empêcher qu’elles veuillent surgir. Mais on s’intéresse à « autre chose », on ne les laisse pas vraiment se former. Et cette « autre chose » c’est être en contact, sentir sa zone de sécurité et la maintenir, ne pas se durcir, dire « oui » au lieu de dire « non » à ce qui vient...
Comme dit monsieur SU, il faut arrêter d’être fasciné par notre subjectivité mais regarder ce qui se passe, ce qui arrive, de façon « objective ».

Et puis quand on « attaque » en fait, on n’attaque pas vraiment : on se dilate, on envahit l’espace du partenaire, on s’étend. C’est comme ça qu’il n’y a pas de substantiel dans la poussée.
Et on ne pense pas non plus : « tiens, je vais le bloquer là ». Non ! Ça c’est trop précis, ça crée une intention trop formée, trop perceptible, trop facile à contrer ou éviter.

C’est parce que je colle et sens qu’il y a une possibilité d’expansion et de recouvrir le partenaire que j’accompagne le mouvement. Mais quand je dis que « je sens », c’est que le mouvement lui-même m’apporte une information : il y a un vide, là, que — parce que je colle — le mouvement commence spontanément à « vouloir » combler. C’est comme çà qu’on peut dire « je sens ».

Sentir, bouger et observer se font tout en même temps. On ne passe pas par la case « réflexion consciente » : c’est trop lent et trop séparé du mouvement.

Je sens une possibilité ? Aussitôt le mouvement s’amplifie un peu pour mieux s’y déployer : je m’avance, je me dilate, je m’étends... Sans écart entre le « sentir » et le « m’étendre »...

Et enfin, à propos de l’absorption. Par exemple avec Mr SU, si je lui ai laissé un petit peu de place, si j’ai ne serait-ce que d’un cheveux abaissé un instant ma vigilance — ce qui veut dire que je n’ai pas bien « collé », il peut en profiter pour me recouvrir dans son mouvement de contre-attaque. Et à peine a-t-il commencé à avancer, je sens, parce que je suis en retard, que j’ai perdu. Je « sais » dans mon corps, que je suis à sa merci.
Donc pour pouvoir absorber, il faut d’abord s’efforcer de coller parfaitement...

Bises !

« Les traces marquent le chemin parcouru et le chemin à parcourir ».
Juan

Posté le 19 février 2021 par Vincent Béja