Sur l’apprentissage, encore

Chasser les nuages et la brume pour voir le ciel bleu

S’exprimer c’est courir le risque d’être mal compris.
Mais ne rien dire, pour ceux qui sont dans l’ignorance, c’est certainement pire.
Alors il faut s’attacher à dire au mieux, au plus près.

Mon niveau de Tai Ji Quan est ce qu’il est : pas bien fameux.
Mais malgré cela il est pourtant bien meilleur que celui de beaucoup.
Pourquoi ?

Alors donnons un peu d’explication sur la vision qui se trouve impliquée dans ce que nous appelons le Tai Chi.

Le Ciel Postérieur et le Ciel Antérieur

Une chose importante qui n’est pas assez soulignée dans nos contrées d’occident, c’est que le Tai Ji Quan est une démarche singulière qui, pour les taoïstes, consiste à sortir du monde du « Ciel Postérieur » (à la naissance) et à revenir sur ses pas pour s’installer dans le monde d’avant « la lutte pour la vie », dans le monde appelé du « Ciel Antérieur », celui d’avant la naissance, donc, celui du savoir-faire INNÉ.

Le monde du « Ciel Postérieur » nous le connaissons bien ; il est fait de toutes les tensions qu’il nous faut mettre en œuvre pour réussir dans la vie sociale, au milieu de tous ces gens qui font la même chose que nous, au risque d’engendrer beaucoup de pagaille et de conflits. C’est le monde de l’ACQUIS.

Alors, soyons très clairs : le monde de l’ACQUIS, c’est le monde où l’on utilise la force pour atteindre son but, pour gagner ou pour ne pas perdre. C’est finalement, même si l’on vise l’harmonie, le monde de la tension, de l’opposition, du refus et, in fine, de la dureté.

Tandis que le monde de l’INNÉ, c’est celui de la douceur, du vide et de la plénitude. Ce monde est là depuis toujours, nous disent les taoïstes et les maîtres, mais il est recouvert par le monde de l’ACQUIS.

Donc que croyez-vous qu’ont fait les maîtres qui nous ont précédé ?

Retourner du Ciel Postérieur au Ciel Antérieur

Comme le rapporte MA ChangXun de l’école Wu du Nord, ils se sont efforcés de se débarrasser de l’envie de gagner, de l’orgueil de réussir, de la peur de perdre et de toutes les tentatives un peu frauduleuses d’utiliser la force ou la vitesse avec leurs partenaires. Ils étaient conscients de leur manque de savoir-faire. Ils se sont attachés, durant tout le temps nécessaire — et qui peut prendre des années, à dissiper l’instinct ACQUIS.

C’est à dire que l’essentiel du travail a consisté pour eux à DÉFAIRE les réflexes acquis. Toutes les habitudes acquises de durcissement, de gagner, d’utiliser la tension pour atteindre ses buts ; toutes les habitudes, donc, qu’elles soient mentales ou corporelles. Tout cela doit être surmonté.
Cela ne veut pas dire devenir « mou » ou sans colonne vertébrale. Mais simplement ne rien tendre, ne rien garder tendu, savoir passer du vide au plein mais surtout du plein au vide.
Il s’agit de se débarrasser de l’emprise de l’ACQUIS pour que puisse apparaître l’INNÉ.

Tous ceux qui se focalisent sur l’obtention de la technique sans se préoccuper de diminuer patiemment l’instinct acquis se leurrent. On ne peut s’emparer de l’instinct inné par aucune espèce de force ou de contrainte mentale ou corporelle. Et, s’ils ont une lueur de conscience sur leur manque de maîtrise réelle, alors ils s’efforcent encore d’ajouter des bribes de technique supplémentaires à ce qu’ils font déjà, ce qui n’aboutit qu’à rajouter de la tension sur la tension et les égare un peu plus...

« Chasser les nuages et la brume pour voir le ciel bleu » voilà le travail du pratiquant véritable.

Vincent Béja


Voici le commentaire de Mr SU sur ce texte :
Vincent est passionné par la culture chinoise et le Taijiquan de style Wu. En travaillant sans relâche, il a des résultats et des aperçus. Cela me touche et j’en suis content. Faire l’expérience du calme, faire des mouvements naturels et lents, et utiliser moins de muscles, de force et de vitesse. Cela conduira à un plus grand succès. Eviter les discours des gens modernes, leur sottises. Si on veut lire sur la théorie, relisez le texte de Wang Zongyue.


Posté le 6 octobre 2022 par Vincent Béja