Chers amis qui me faites le plaisir de me lire,
le billet précédent m’a valu quelques réponses par mail. La plupart démontraient une sensibilité proche de la mienne et acquiesçaient à ce que j’avais écrit. Mais l’une de ces réponses, sur des prémisses singulières sur lesquelles je vais devoir revenir, cherchait à invalider l’ensemble de ma démonstration.
Je publie donc ci-dessous cette réponse in extenso. Je montrerai ensuite en quoi le raisonnement apparemment extrêmement logique et convaincant de mon correspondant s’appuie sur quelques présupposés qu’il est important de repérer et auxquels il faut savoir résister.
Voici son texte
Je ne répondrai ici que sur les points relatifs à la pertinence des politiques publiques et aux statistiques en reprenant les arguments évoqués dans l’article.1) La mortalité imputable au Coronavirus est faible, donc ce n’est pas la peine de se protéger.Cet argument présenté ainsi est un exemple de problème mal posé, dont on peut illustrer l’absurdité par une analogie :« Le nombre d’accident de la route est faible, donc il est inutile de porter la ceinture ».L’erreur sous-jacente est due au fait que ce qui nous intéresse vraiment pour évaluer une politique publique est le nombre de morts que l’on peut éviter, et ce que l’on mesure est le nombre de morts que l’on constate. Argumenter sur le second pour juger le premier est une erreur de logique.Ainsi, les arguments qui visent à dire que la mortalité est faible dans un contexte où l’on prend des mesures de protection font plutôt pencher la balance en faveur de ces mesures. Pour revenir à l’analogie de la voiture : le fait que la mortalité soit faible lorsqu’on porte une ceinture justifie le port de cette dernière.2) La mortalité imputable au coronavirus est plus faible maintenant que par le passé.L’argument 1) reste valide ici.Les mesures prises actuellement sont préventives. Attendre que les gens soient effectivement morts pour essayer de les sauver n’a pas de sens. Il est donc parfaitement normal de faire les choses avant qu’il ne soit trop tard.3) La mortalité imputable au coronavirus est petite devant les autres causes de mortalitéLes arguments 1) et 2) sont toujours valides ici.C’est quasiment vrai pour tout : la mortalité d’un truc tout seul est plus petite que la somme de la mortalité de l’ensemble des autres trucs. Ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de sauver les gens.4) La mortalité imputable au Coronavirus est plus faible que celle de la grippeLes arguments 1) 2) et 3) restent aussi valides iciComparer une épidémie qui est terminée pour laquelle on a compté tous les morts, à une épidémie en cours pour laquelle des gens vont continuer à mourir dans l’avenir n’a pas de sens.5) Les morts du coronavirus ont aussi d’autres maladiesLes arguments 1) et 2) restent valides iciEffectivement les facteurs de risques se cumulent, et avoir le coronavirus ET une autre maladie a plus de chance de tuer quelqu’un qu’avoir juste une maladie ou juste le coronavirus. Ce n’est par contre en rien un argument qui justifie moralement de ne pas sauver les gens qui sont les plus à risque.Même si on considère que 2/3 des gens ne méritent pas d’être sauvés il reste le dernier tiers.Qu’en conclure ?Pour évaluer la pertinence d’une politique publique en matière de prévention de la santé, il faut estimer le nombre de morts qu’elle évite et ne pas compter les morts a posteriori.Une fois l’épidémie terminée, on pourra par contre évaluer les mesures du passé en comparant le nombre de morts imputables au virus aux prévisions des modèles épidémiologiques simulés sous l’hypothèse qu’aucune mesure n’a été prise, ou comparer les résultats des différents pays.
Notre analyse
Tout d’abord on peut constater que le cœur de l’argumentation est énoncé au tout début du courrier puisqu’il y est fait référence tout du long. Il réside pour l’essentiel en une comparaison avec la sécurité routière et le port de la ceinture de sécurité. Effectivement, si l’on adopte le point de vue que le risque viral est une constante, indépendante du temps, et que les dites mesures de sécurité actuellement prises ont une quelconque incidence à la baisse sur ce risque, alors ce raisonnement peut s’entendre. Mais nous allons voir que les prémisses (le risque est constant — simplification pour signifier qu’il reste élevé) sont fausses et que les mesures (elles permettraient d’éviter des morts) sont contestables et légitimement contestées.
Un autre argument mis en avant par notre correspondant c’est que les politiques doivent être évaluées à la toute fin de la pandémie, non pas sur la base des morts effectifs mais sur la base des morts qu’elles auront permis d’éviter. Nous le discuterons, nous aussi, tout à la fin de notre billet...
Attention au raisonnement mortifère !
Mais commençons par accepter provisoirement cette analogie du port de la ceinture et les hypothèses sous-jacentes qui y sont impliquées. Et voyons tout d’abord quelles en seraient les conséquences quand l’épidémie s’installe — comme c’est le cas depuis le mois de juin — dans les zones du risque faible c’est à dire quand la virulence et la létalité du virus deviennent marginales. On a alors affaire à un risque qui est devenu inférieur à celui de nombre d’affections (comme les différents types de grippes) pour lesquelles, en France, on n’a jusqu’alors jamais pris aucune mesure collective sérieuse.
A suivre le raisonnement de notre correspondant, pour pouvoir sauver quelques vies, il faudrait prendre ce type de mesures pour tout virus dont le niveau de dangerosité serait équivalent ou supérieur à ce qu’il est actuellement pour la COVID-19. Ceci équivaudrait à se protéger quasiment tout le temps, à l’occasion de toute poussée grippale saisonnière, et reviendrait, pour le corps social, à s’arrêter de vivre pour pouvoir survivre...
Par ailleurs imaginer comme semble le croire notre correspondant que ce seraient les mesures prises actuellement qui atténuent le risque et la mortalité c’est prendre les choses à rebours. En effet c’est, comme nous allons le voir, l’évolution habituelle des épidémies que de diminuer en virulence. Il n’y aurait plus d’humanité depuis longtemps s’il en était autrement.
La diminution de la mortalité que l’on constate aujourd’hui est « naturelle » et non pas l’effet de nos mesures sanitaires.
Persister à vouloir confiner ou distancier les personnes dans ces conditions n’a plus de sens et entraîne un sérieux problème social et économique. Car, dans cette fin de pandémie que nous vivons et que nous allons détailler plus loin, les mesures auxquelles nous sommes actuellement soumis sont totalement excessives. Par l’insécurité et l’incertitude qu’elles engendrent ces mesures retardent les projets, les décisions d’investissement de toute sorte, et entraînent en conséquence une baisse de l’ensemble de l’activité qui, elle-même engendre du chômage et un manque de confiance dans l’avenir qui peut devenir dramatique. Il faudra d’ailleurs analyser attentivement l’évolution des suicides et des dépressions et se pencher sur le dépérissement des personnes âgées pour lesquelles ces mesures accroissent l’isolement...
Eviter frénétiquement et à n’importe quel prix tout décès n’est pas un signe d’équilibre mental ; c’est plutôt le signe d’un déni furieux de notre nature mortelle.
Le vivant suit une logique complexe et des processus non linéaires
Le point logique sous-jacent essentiel du raisonnement notre correspondant, mais qu’il n’explicite pas clairement, réside dans la persistance du risque que ferait courir le virus à tout ou partie de la population. Si ce risque était le même qu’au début de l’épidémie, alors il faudrait bien sûr prendre des mesures adaptées.
Mais, précisément, le propre d’une épidémie c’est que le risque évolue à la baisse avec le temps. Plusieurs mécanismes sont en cause.
L’un des plus évidents c’est qu’à mesure que la population est touchée, les survivants sont immunisés et ne sont plus des vecteurs de propagation. A partir d’un certain niveau d’immunisation de la population (qui diffère selon la contagiosité et le mode de contagion du virus) l’épidémie s’arrête alors d’elle-même. C’est le principe de l’immunité de groupe. C’est une stratégie risquée car si l’on laisse ce processus se déployer librement, un virus très virulent pourrait entraîner un nombre considérable de morts et d’hospitalisations sévères avant de s’atténuer. C’est un processus qui peut donc conduire rapidement à la surcharge hospitalière. Nous en avons vécu un dramatique exemple, largement dû à notre impréparation, dès le premier mois de l’épidémie.
Face à un nouveau virus nous sommes actuellement incapables d’évaluer le risque qu’il peut faire courir à la population et le nombre de morts qu’il pourrait entraîner si on le laissait faire. Il faut donc intervenir. Mais il y a plusieurs manières de le faire. Et toute intervention aura une incidence sur l’épidémie, son évolution et le nombre de morts épargnés. Néanmoins, même le nombre de mort qu’aurait fait le virus si nous n’étions intervenus en rien dans sa propagation est indéterminable car nous n’avons aucune certitude de l’évolution et des vitesses de mutations qu’il aurait suivies dans ce contexte imaginaire.
Dans une épidémie qui démarre, ce nombre est donc toujours inconnu a priori, tandis qu’ a posteriori nous ne pouvons en avoir qu’une approximation imprécise.
Néanmoins, dans la plupart des épidémies peu dangereuses, laisser le virus évoluer naturellement est le schéma habituel. Ainsi, hormis l’utilisation d’un vaccin — peu utilisé à l’exception des tranches d’âges supérieures et d’une efficacité relative — nous traitons les grippes par une espèce d’indifférence collective, en ne prenant que des mesures individuelles pour les malades. Et jusque là cela marche plutôt bien...
Quoiqu’il en soit, le résultat empirique des millions de tests effectués montre que le virus se propage maintenant assez peu dans l’ensemble bien qu’un peu plus tout de même chez les jeunes adultes.
Un autre élément important c’est l’ajustement mutuel du virus et de son hôte. Il faut se rendre compte qu’un virus est une sorte de petit organisme en mutation perpétuelle, en fonction du milieu — et donc de l’organisme hôte — dans lequel il se trouve. Si les plus virulents tuent leur hôte, ils meurent avec lui. Les mutations qui réduisent le risque de tuer l’hôte ont plus de chance d’être transmises et de s’introduire dans d’autres organismes ; elles sont donc, de fait, favorisées. Il est alors logique, au final, que l’on constate une mutation du virus dans le sens d’une atténuation de sa virulence, même si sa contagiosité ne diminue pas ou peu. Et c’est bien ce que toutes les observations montrent aujourd’hui.
Peu d’épidémiologistes sérieux s’attendaient à un quelconque rebond et, s’il avait dû avoir lieu, il aurait dû advenir dans les semaines suivant le déconfinement, alors qu’à ce moment encore, seule une toute petite partie de la population était immunisée et que le plaisir de retrouver de la mobilité et du contact avait conduit beaucoup de personnes à se rencontrer de façon festive et dans l’oubli des gestes barrières...
Or rien de tel ne s’est passé. Aucune seconde vague ! Au contraire. Durant l’été tous les voyants sont passés au vert. La légère remontée actuelle des hospitalisations (septembre), outre qu’elle reste dans des marges de fluctuations « normales », est probablement due à la saison automnale dans laquelle nous rentrons. Et à peine commencée, elle tend d’ailleurs déjà à diminuer...
Il faut aussi distinguer, à rebours des discours alarmistes, la contagiosité du virus d’avec sa virulence. On a en effet constaté un accroissement sensible du nombre de personnes infectées, particulièrement chez les jeunes sans que le nombre d’hospitalisations ou de décès dans cette tranche d’âge augmente en proportion. Cela s’interprète tout naturellement comme la conséquence de la mutation du virus dont nous avons parlé plus haut : le virus est devenu moins virulent et moins contagieux — sauf, sur ce dernier point, dans les situations de promiscuité prolongée. Cela signifierait que l’on pourrait tout de même encore assez facilement l’attraper tandis qu’on serait alors pas ou très peu malade. C’est ce que les données collectées montrent. C’est aussi ce que disent les généralistes en médecine de ville.
Que faut-il donc penser quand la préfète de l’Aude, via le journal « L’indépendant » du 1er octobre sonne le tocsin en indiquant que le taux d’incidence du COVID dans la population audoise des 20-30 ans est le double du taux d’incidence global ? Veut-elle faire peur et pousser les jeunes à se gendarmer, à revenir aux gestes barrières et au port systématique du masque ?
Si le taux d’incidence augmente dans une catégorie de la population cela signifie qu’il y a, par unité de temps et rapporté à la population de cette catégorie, une augmentation du nombre de personnes touchées. Mais si, de façon statistiquement significative, il n’y a pas plus d’hospitalisation dans cette tranche d’âge, cela signifie que la virulence, elle, est de plus en plus faible et qu’en réalité le danger s’éloigne... Or c’est effectivement ce qui est constaté et qui est passé sous silence !
On ne peut pas penser qu’un préfet se laisserait impressionner par certaines données et serait incapable de prendre en compte la complexité du phénomène...
Qui ment ? Qui manipule ?
Si vous êtes intéressé, prêt à réfléchir sur des données chiffrées complexes et que vous voulez vous faire votre propre opinion je vous conseille d’aller sur le site du professeur Toubiana, épidémiologiste et directeur d’une unité INSERM
Politique sanitaire : une critique est-elle possible ?
Venons-en au dernier argument de notre correspondant. Si je l’entends bien celui-ci me dit que la politique suivie actuellement, puisqu’elle vise à épargner des vies, doit nécessairement être déployée et que nous ne saurions l’évaluer qu’a posteriori. Voici pour rappel sa conclusion :
Pour évaluer la pertinence d’une politique publique en matière de prévention de la santé, il faut estimer le nombre de morts qu’elle évite et ne pas compter les morts a posteriori.
Une fois l’épidémie terminée, on pourra par contre évaluer les mesures du passé en comparant le nombre de morts imputables au virus aux prévisions des modèles épidémiologiques simulés sous l’hypothèse qu’aucune mesure n’a été prise, ou comparer les résultats des différents pays.
Ce n’est donc que plus tard que nous pourrons critiquer car nous n’aurions pas le droit — au plan logique — de vouloir chercher à l’infléchir dès aujourd’hui. Cela signifie-t-il alors que si nous estimons que les mesures prises actuellement produisent plus de mal que de bien, nous devrions nous taire jusqu’à ce que tous les maux que nous craignons soient advenus ?
Et qu’en est-il dans ces conditions du débat ? Nos autorités seraient-elles devenues infaillibles ?
J’avoue que cet argument me sidère. J’éprouve tout au contraire la nécessité d’être impliqué dès aujourd’hui, de me positionner clairement. Pour moi une épidémie se traite principalement en isolant les individus contaminés et en les soignant ; limiter les contacts sociaux de tous avec tous n’est que l’une des options à notre disposition tandis que reléguer les malades chez eux avec de l’aspirine jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus avant d’être hospitalisés est l’une des plus mauvaises mesures qui aient été prises.
Notre incurie initiale et nos blocages bureaucratiques ont été ponctuellement surmontés. Nous avons maintenant de quoi tester et soigner. Par ailleurs la virulence initiale de la COVID-19 s’estompe, une fraction de plus en plus importante de la population est maintenant immunisée. Le risque — qui n’est jamais nul en biologie — se réduit comme peau de chagrin.
Les mesures sanitaires actuelles sont bourrées d’incohérence. A suivre la logique qui préside à l’obligation du port du masque on pourrait croire que le virus se propage quand on se déplace en plein air tandis qu’il s’assagit dès qu’on s’assied à la terrasse d’un café...
Au point où nous en sommes de l’épidémie, ces mesures ont une utilité quasi nulle pour épargner des vies. Elles ont par contre un impact très important sur la vie sociale : elles entretiennent la peur, elles poussent même parfois à la délation et elles ont un très fort effet dépressif sur la vie culturelle, sociale, économique d’à peu près tout le monde.
Le martèlement du maintien de ces mesures par les responsables — le ministre de la santé Olivier Véran en tête — interroge.
Tout comme continue de m’interroger le débat sur l’hydroxychloroquine que je considère comme loin d’être clos. L’interdiction par le gouvernement dès le 26 janvier de sa prescription par les médecins — interdiction qui n’a toujours pas été clairement levée — est à mon sens une mesure criminelle qui me met très en colère. Il reste à évaluer les morts qu’elle a entraînés, à en élucider les causes et les mobiles et à juger les responsables...
Tout comme je m’interroge encore sur les mécanismes psychologiques qui poussent des gens sensibles et cultivés (des journalistes, des politiques, des psychothérapeutes et bien d’autres... dont peut-être notre correspondant) à se faire les avocats convaincus de la bien pensance sécuritaire ambiante.
Je tâcherai d’y revenir bientôt !